Source : La Dépêche

Le groupe état islamique (EI) est en train de «ressurgir» en Syrie alors même que les états-Unis retirent leurs troupes du pays, a indiqué mardi un inspecteur général du Pentagone dans un rapport.

«Même s’il a perdu son califat territorial, l’état Islamique en Irak et en Syrie a renforcé ses capacités insurrectionnelles en Irak et a repris ses activités en Syrie ce trimestre», affirme le document.

L’EI a pu «regrouper et soutenir des opérations» dans les deux pays en partie parce que les forces locales «restent incapables de maintenir des opérations à long terme, de conduire des opérations simultanément, ou de garder le territoire qu’elles ont dégagé», ajoute-t-il.

L’impact du retrait des états-Unis

La résurgence du groupe en Syrie s’est produite lorsque Washington «s’est partiellement retiré» du pays, une décision prise contre l’avis des Forces démocratiques syriennes (FDS, l’alliance de combattants kurdes et arabes soutenue par Washington qui a mené la lutte contre Daech), qui réclamaient «plus de formations et d’équipement pour les opérations anti-insurrectionnelles».

Le président Donald Trump a annoncé fin 2018 le retrait de la plus grande partie des quelque 2 000 soldats américains du Nord-Est de la Syrie, en proclamant une victoire totale contre l’organisation jihadiste, une décision qui avait poussé son ministre de la Défense, Jim Mattis, à démissionner.

Quelques troupes américaines sont restées dans le Nord-Est de la Syrie, une région qui n’est pas contrôlée par le régime du président Bachar al-Assad, et Washington demande un soutien militaire accru de la part des autres membres de la coalition internationale contre l’EI.

Cette dernière affirme que l’organisation jihadiste compte encore probablement entre 14 000 et 18 000 «membres» en Irak et en Syrie, dont jusqu’à 3 000 étrangers issus de quelque 50 pays, selon ce rapport.

Le 1er août dernier, les États-Unis ont de nouveau appelé les pays européens à rapatrier leurs djihadistes détenus par les Forces démocratiques syriennes (FDS). «Nous avons des milliers de djihadistes à renvoyer en Europe. Si les pays d’Europe ne les rapatrient pas, nous devrons probablement les relâcher», avait déclaré le président Donald Trump. Le représentant spécial américain pour la Syrie James Jeffrey a par ailleurs indiqué que les négociations se poursuivaient avec les alliés pour renforcer les troupes au sol dans le nord de la Syrie. «Ce que nous attendons de nos partenaires de la coalition, c’est qu’ils augmentent leur contribution en termes de troupes au sol pour poursuivre la formation, l’équipement et l’accompagnement des forces locales, a-t-il dit. Nous n’avons pas encore achevé nos discussions avec ces pays, mais nous sommes plutôt optimistes.»


Sept ans de prison pour une jeune radicalisée

Janna C., une jeune radicalisée interpellée en 2016 à l’âge de 18 ans alors qu’elle envisageait de commettre un attentat en France au nom du groupe état islamique (EI), a été condamnée mercredi à Paris à sept ans de prison. Le tribunal correctionnel a assorti cette peine d’une période de sûreté des deux tiers et prononcé son maintien en détention. Il a également ordonné un suivi sociojudiciaire pendant cinq ans. Abreuvée de la propagande de l’EI, elle avait été interpellée le 10 août 2016 dans un jardin public de Clermont-Ferrand dans le Puy-de-Dôme, après avoir évoqué un projet d’attentat dans des messages et auprès de sa famille. Cette jeune radicalisée avait la veille recherché sur internet «comment fabriquer une ceinture explo» ou la technique de «fabrication du TATP», un explosif artisanal très instable prisé des djihadistes. Sur Snapchat, elle avait donné «rendez-vous dans le paradis éternel». Une autre radicalisée, Djelika S., 25 ans, qui était très proche de Janna sur Internet et qui comparaissait à son côté, a elle été condamnée à six ans d’emprisonnement.


Gwendoline Idelon : «On craint de nouvelles attaques terroristes en Europe»

L’analyse du Pentagone sur la résurgence de Daech est-elle plausible ?

Oui, d’autant plus que les chiffres sont crédibles puisque l’on sait qu’environ 30 000 étrangers ont rejoint Daech dont 6 000 Européens. Les Kurdes détiendraient 14 500 jihadistes étrangers. L’autre moitié serait en liberté, car pour beaucoup leur mort n’a pas été officialisée. Pour le cas des Français, le constat est le même : 400 sont détenus au nord-est syrien, on a eu 400 revenants, mais on estime à 300 ceux qui seraient encore sur zone et c’est problématique. Puisqu’ils ne sont pas neutralisés, ils sont potentiellement hors de contrôle. Donc l’analyse du Pentagone est plausible, il n’y a rien de surprenant.

Le groupe terroriste pourrait-il redevenir un acteur politique et militaire, malgré sa défaite territoriale ? A-t-il les moyens d’attirer encore des groupes jihadistes ?

Oui, bien sûr. La chute de Baghouz n’a pas marqué la disparition de l’état islamique. En fait, il continue d’exister, simplement sous une autre forme. Avant, on connaissait le groupe terroriste et son califat territorial. Dèsormais, l’organisation agit sur un mode clandestin en activant ses cellules dormantes. Il est important de faire la distinction entre l’assise territoriale du groupe terroriste et son influence globale, qui passe par une idéologie bien ancrée que relaye la propagande. La menace persiste sous une autre forme. Quant à savoir si le groupe a les moyens de redevenir un acteur majeur : oui. Dans le rapport de l’ONU, on estime sa fortune entre 50 et 300 millions de dollars. C’est assez pour redynamiser leurs méthodes de propagande et assez pour que les opérations extérieures redoublent d’intensité. Et puis au-delà de ça, l’état islamique est en train de faire ce qu’Al Qaïda avait fait avant. C’est-à-dire que l’épicentre de la menace demeure pour l’heure en Syrie, mais l’organisation s’est d’ores et déjà recomposée via des filiales à l’étranger. On sait que des combattants français ont rejoint sous son égide d’autres zones de combats à l’instar de la Libye, du Sinaï et de l’Afghanistan. Or ces filiales disposent déjà de capacités de projection de la menace. C’est pourquoi, on craint de nouvelles attaques en Europe.

Vous revenez de Syrie et notamment de Raqqa, ancien fief de l’état islamique. Quelle est la situation sur place ?

À Raqqa, on a assisté à un spectacle de désolation, même si quelques magasins ont rouvert et que certains habitants continuent de vivre dans une situation très précaire. Un regain d’hostilité se fait sentir. La ville a été détruite à 80 %. A priori, il n’y a qu’une seule ONG sur place. Les forces kurdes font attention à se tenir en dehors de la ville pour ne pas provoquer de heurts avec la population arable, parce qu’une partie de celle-ci continue de soutenir l’idéologie de l’état islamique. Or l’adhésion de la population civile est un facteur évidemment favorable à un regain des projets terroristes. Quand on s’est rendu à Raqqa, on a vu des enfants scander le slogan de l’état islamique. Il y a une certaine adhésion qui persiste.

Quelle est la situation des jihadistes français détenus ? Y a-t-il des risques à les laisser dans des camps, ne vaudrait-il pas mieux les rapatrier en France pour qu’ils y soient jugés ?

Si. La situation dans les camps est très instable, ce sont des bombes à retardement. Dans les camps de détention où sont placés les hommes, on a vu des mutineries. S’agissant des camps qui accueillent les femmes, il y a eu plusieurs tentatives d’évasion. On a vu aussi des enfants hisser des drapeaux de l’état islamique, encouragés par leur mère. ça veut dire qu’ils n’ont pas renoncé à leur idéologie et qu’ils comptent poursuivre les projets de l’EI. Les laisser dans ces camps, c’est un risque pour notre propre sécurité. Compte tenu du contexte géopolitique – Erdogan qui annonce l’imminence d’une offensive turque –, on craint l’abandon des prisons par les Kurdes. Ensuite Trump menace de relâcher les jihadistes. Tout cela rajoute au chaos ambiant. Et c’est un risque aussi parce que sur place les Kurdes sont incapables d’assurer la détention et le jugement des jihadistes étrangers. Les rapatrier, c’est rester maître de la situation et c’est la seule solution pour contenir la menace.

Gwendoline Idelon, analyste pour le Centre d’analyse du terrorisme (CAT).