Source : Dalloz 

Une page est en train de se tourner pour la justice antiterroriste française. Annoncé à la fin décembre 2017, le parquet national antiterroriste (PNAT) se concrétise. On devrait très prochainement savoir quelle personnalité sera désignée pour diriger la nouvelle structure qui va signer la fin de la section C1 du parquet de Paris. Selon le quotidien Le Monde, le ministère de la justice a proposé la nomination du conseiller à la Cour de cassation Jean-François Ricard.

Avec la création du PNAT, cette section stratégique va en effet disparaître au profit de l’arrivée du deuxième parquet national en France. Une absorption – les magistrats actuellement en poste à C1 attendent d’en savoir plus sur leur futur patron avant de candidater dans la nouvelle structure – qui va donc au-delà des nombreux changements de nom intervenus en trente-trois ans d’existence.

Dans les années 1980, les attentats d’Action directe, du Front de libération populaire de la Palestine ou encore du Hezbollah poussent le législateur à centraliser l’intervention judiciaire, concurrente et non exclusive, à Paris. Le magistrat Alain Marsaud, auteur d’une tribune remarquée dans la presse, prend la tête en 1986 du nouveau service central de lutte antiterroriste. La structure s’appellera 14e section, section A6, et enfin C1 depuis 2004. La section, logée dans la quatrième division du parquet de Paris, suit actuellement près de 416 informations judiciaires et dirige 271 enquêtes préliminaires.

Le tournant des attentats

Avant d’être supplantée par ce nouveau parquet national, la section spécialisée sur les affaires de terrorisme et d’atteinte à la sûreté de l’État a été sérieusement musclée ces dernières années au fil des attentats qui ont meurtri l’Hexagone. « Les moyens ont été renforcés progressivement au fur et à mesure de l’accroissement de la menace, observe Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme. Il y a les très gros dossiers et les filières, plus le retentissement médiatique qui impose une pression à l’ensemble de la chaîne pénale. »

De sept magistrats, il y a six ans, les effectifs ont ainsi bondi à quinze sous la direction de la discrète Camille Hennetier. Inconnue du grand public, mis à part une apparition dans un documentaire télé sur le travail des parquetiers de Bobigny, la magistrate est arrivée en 2013 à C1. Recrutée par le procureur François Molins, l’un de ses anciens patrons, elle est nommée cheffe adjointe avant de devenir responsable de la section un an plus tard.

Quelques mois avant la tuerie de Charlie Hebdo et les attaques de Saint-Denis et de Paris, Camille Hennetier prend les rênes d’une section où l’essentiel du travail est alors encore dominé, à côté des premiers dossiers syriens, par le règlement des grands dossiers de terrorisme basque ou corse. Depuis, « le contentieux s’est complètement transformé », constate cette magistrate de 45 ans.

La cheffe de la section C1, qui a débuté sa carrière à l’instruction à Aurillac avant d’opter pour le parquet à Paris et la formation à l’École nationale de la magistrature, situe précisément le point de bascule en décembre 2014. Ce mois-là, deux ans après les tueries de Toulouse et de Montauban, trois agressions commises à Joué-les-Tours, Nantes et Dijon signent le début des passages à l’acte d’individus radicalisés aux personnalités fragiles.

Le feu sacré

Résultat, les magistrats de la section C1 vont devoir mettre les bouchées doubles. Un investissement hors-norme qui est déjà la marque de fabrique de la section. « Ce n’est pas comme le droit commun, il faut avoir le feu sacré, se souvient Irène Stoller, cheffe de la section de 1996 à 2001. Il ne faut pas chercher à faire carrière et se donner à fond. »

Un esprit de corps qui marque. Les premiers magistrats antiterroristes de la fin des années 1980 se retrouvent tous les trimestres pour un déjeuner près des Halles, avant de passer également à table avec les anciens enquêteurs des services de police. « Ce qui soude une équipe, c’est le fait d’avoir traversé des événements hors normes, riches et difficiles », note de son côté Camille Hennetier.

Exemple avec le soir du 13 novembre 2015. La magistrate est avertie des attaques menées au Stade de France. Alors que la permanence fonce vers Saint-Denis, François Molins l’appelle : il y a eu des tirs dans la capitale. Sur place, à quelques mètres du Carillon, ils apprennent tous deux qu’il se passe quelque chose au Bataclan. « C’était surréaliste, très confus, comme un sentiment de chaos », se souvient-elle. Pendant douze jours, le temps de la flagrance, la section se plonge dans cette enquête hors norme.

« Ce qui a changé, c’est le volume »

Face à cette vague terroriste, l’organisation de C1 est restée la même. La section regroupe toujours un pôle chargé du suivi des informations judiciaires, un bureau des enquêtes et une permanence. « Ce qui a changé, c’est le volume » de travail, souligne Camille Hennetier. « Il a d’abord fallu muscler le bureau des enquêtes, poursuit-elle. Désormais, le flux se déporte sur le règlement des dossiers et des audiences. »

Un travail reconnu à l’extérieur. « La section fait un travail formidable en prévention », signale Guillaume Denoix de Saint Marc, le directeur général de l’Association française des victimes du terrorisme. « Nous sommes reçus quand nous le demandons », poursuit-il, déplorant seulement des divergences de vues sur les demandes de constitution de partie civile de l’association sur les dossiers de « revenants », ces djihadistes de retour de Syrie.

La permanence de C1 a cependant été renforcée pour faire face à l’imprévu. « S’il se passe un événement, même de faible intensité, cela prend tout de suite des proportions très importantes, analyse Camille Hennetier. Nous comprenons ce retentissement médiatique important, mais c’est parfois un peu excessif et cela a un impact certain sur notre travail. Il faut se positionner vite et en même temps le faire de façon réfléchie, alors que les investigations se poursuivent. »

La section antiterroriste a alors quelques heures pour se prononcer sur une éventuelle saisine. À charge pour C1, en lien avec le procureur de Paris, de trancher sur le caractère terroriste des faits. « C’est toujours un moment délicat, une décision importante qui va être discutée ensuite », signale Camille Hennetier.

Critiques

Une question sensible dans l’antiterrorisme français. Le fiasco de l’affaire du groupe de Tarnac, suspecté d’avoir saboté des lignes TGV en 2008, est encore frais dans les mémoires. Après dix ans de procédure judiciaire, débutée avec une enquête préliminaire suivie par la section C1, l’affaire se terminera par de nombreuses relaxes… en correctionnelle.

La qualification terroriste n’avait pas été retenue à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation, une déroute pour l’accusation. « Dans les affaires dites de terrorisme, c’est-à-dire politiques, le parquet est aux ordres, estime Me Irène Terrel, avocate du principal accusé au début de l’affaire. Cette dépendance au pouvoir, qui s’observe aussi dans les affaires de droit commun, est aggravée, empêchant une justice objective. »

Me Simon Cohen, partie civile au procès d’Abdelkader Merah, regrette lui de ne pas avoir été entendu assez tôt dans son affaire. Alors qu’il plaide dès septembre 2012 pour que l’association de malfaiteurs retenue soit interprétée au sens criminel et non délictuel, il ne sera suivi que trois ans plus tard par le parquet antiterroriste. « Trois ans de perdus », soupire-t-il encore aujourd’hui. Une contradiction de forme entre l’intitulé de sa mise en examen et les textes visés, reconnaît le parquet, qui a été purgée au règlement.

« Plus les pouvoirs sont concentrés, plus les errements sont marquants, et plus les défauts sont nets », analyse Me Cohen. « La justice antiterroriste a été érigée au rang de corps de super-magistrats, s’inquiète l’avocat toulousain. Comme si les parquetiers ou les juges d’instruction de la galerie Saint-Éloi n’étaient pas des juges comme les autres. »