Source : La Voix du Nord
Le président irakien Barham Saleh, en visite à Paris, avait annoncé fin février que treize Français accusés d’avoir combattu dans les rangs de Daech et arrêtés récemment par les forces kurdes, ont été transférés en Irak pour y être jugés. Quelques semaines plus tard, le Centre d’analyse du terrorisme (CAT), qui fait référence en matière de recherche dans ce domaine, en a identifié dix. Pour les trois autres, Jean-Charles Brisard, président du CAT, dit que le travail continue, notamment les vérifications et recoupements, mais qu’ils seront identifiés, eux aussi.
Les organisations non gouvernementales qui agissent sur place, comme Human Rights Watch, estiment qu’il reste aujourd’hui une cinquantaine d’adultes détenus par les Kurdes de Syrie, et entre quatre-vingt-dix et cent enfants. On sait que cinq d’entre eux ont été renvoyés en France la semaine dernière, dont les trois petits-enfants de Lydie et Patrice Maninchedda, qui les attendent à Libercourt.
Une famille entière
Parmi les dix ex-combattants de Daech identifiés par le CAT, figurent également deux Nordistes, partis sur la zone irako-syrienne depuis plusieurs années. Le premier, Fodil Tahar Aouidate, est un Tourquennois de 32 ans parti pour la première fois en Syrie en 2013. De retour en France quelques mois plus tard, il est soupçonné d’y avoir projeté une action violente, qui n’aurait échoué que par l’intervention de la police, en amont.
Reparti en Syrie, il a alors tenu un rôle de formateur pour de nombreux jeunes jihadistes arrivant au « califat ». Réputé autoritaire, exerçant une influence prépondérante sur sa famille (il a sept sœurs), il a emmené ou fait venir derrière lui ses parents et cinq de ses sœurs, avec compagnons et enfants, parfois. En tout, ce sont vingt-trois membres de cette famille qui vivaient dans les environs d’Alep. Seules deux sœurs sont restées en France.
Donnés pour morts
Après les attentats de novembre 2015 à Paris, dont son ami Adelhamid Abaaoud est considéré comme l’un des organisateurs, Fodil Tahar Aouidate a été identifié par les services de renseignement sur une vidéo, où il se réjouissait en Français, sous le pseudonyme d’Abdallah al-Faransi. Depuis, quelques témoignages l’avaient donné pour mort dans une attaque de la coalition, en novembre 2016. Il n’en est rien, en fait.
Vianney Ouraghi, originaire de Villeneuve-d’Ascq, a lui aussi été annoncé mort. C’était en décembre 2015, mais c’était également une fausse information. Pourtant, au combat, il a été sérieusement blessé : mâchoire cassée, nerf facial endommagé et hanche gravement atteinte, il n’entend plus que d’une oreille. Mais en 2014, il avait annoncé à ses parents qu’il s’était inscrit sur la liste des martyrs. Aujourd’hui, comme Fodil Tahar Aouidate, il encourt théoriquement la peine de mort en Irak.
Jean-Charles Brisard est le président du Centre d’analyse du terrorisme, organisme reconnu d’intérêt général qui fait référence en la matière.
Vous vous étiez prononcé pour le retour des ex-jihadistes en France, quand ils étaient détenus par les Kurdes de Syrie. Maintenant qu’ils sont en Irak, pensez-vous que les garanties soient meilleures ?
« Non, pas nécessairement. L’Irak a sans doute un système judiciaire qui permettra de les juger, plus sûrement que les Kurdes de Syrie, mais il n’en sera pas de même pour les garder emprisonnés. On connaît le cas de plusieurs Français qui ont réussi à s’échapper des prisons irakiennes, en 2005 ou 2006.
Par ailleurs, en termes de peine, s’ils sont condamnés à perpétuité, celle-ci est commuée en vingt années de détention, alors qu’ils seraient passibles de trente ans chez nous, devant une cour d’assises spécialement composée. »
Théoriquement, ils risquent la peine de mort, devant le droit irakien…
« Théoriquement, oui. Mais la peine de mort ne sera pas prononcée, puisque la France a clairement dit qu’elle interviendrait, dans ce cas. »
Mais quel serait l’avantage de les ramener en France ?
« Même ceux qui n’ont pas commis d’actions violentes ici sont susceptibles d’avoir été complices d’une manière ou d’une autre, par exemple au temps de la préparation, ou pour le moins d’avoir été au courant. Tous ceux-là ont alors sans doute des renseignements très précieux dont notre justice pourrait avoir besoin. Notamment pour compléter ou solidifier ses enquêtes sur les attentats. »
Mais si on les ramène en France, qu’en fait-on ? En détention, on sait qu’ils ont parfois une influence terrible sur d’autres détenus…
« L’idée, évidemment, est de les mettre hors d’état de nuire. Dans nos prisons, il existe suffisamment de places à l’isolement pour les accueillir. Alors, pourquoi faire dépendre notre sécurité d’autres pays, quand nous pouvons l’assurer nous-mêmes ? »