Source : Le Dauphiné Libéré
Par Coralie DREYER
Si Daech a perdu son califat autoproclamé, à cheval sur l’Irak et la Syrie, le groupe djihadiste dispose toujours d’un important pouvoir de nuisance et de terreur. Décryptage.
« La victoire contre Daech est finale », affirmait en décembre 2017 le Premier ministre irakien Haider al-Abadi. Quelques jours plus tard, le président américain estimait la bataille contre l’organisation terroriste « à 98, 99 % terminée ». Fin 2017 toujours, même Emmanuel Macron pariait sur une victoire contre Daech en Syrie « à la mi-février ».
La bataille contre les djihadistes, en Irak et en Syrie, semble pourtant bien loin d’être gagnée. Si sa puissance territoriale est entamée, Daech est loin d’être éradiqué du Levant. Explications.
1. Le retour à la guérilla
En Syrie, un attentat-suicide mené par quatre kamikazes a fait plus de 250 victimes, dont au moins la moitié de civils, à Soueïda, le 26 juillet. La même semaine, une trentaine de femmes et d’enfants, issus de la minorité druze, ont été enlevés dans cette région du sud de la Syrie.
Un attentat début juillet à Kirkouk, en Irak. Photo Marwan IBRAHIM/AFP
En Irak, Daech sème la terreur à coups de kidnappings meurtriers dans un triangle de la violence formé par les provinces de Kirkouk, Diyala et Salahuddin, au nord de Bagdad. En un mois, ces attaques éclairs ont fait plus de 83 morts.
Les djihadistes de Daech ont opéré « un retour au désert », dans la clandestinité et mènent des opérations « très rentables », selon Alain Rodier, ancien officier des services de renseignements français et spécialiste du terrorisme au sein du Centre Français de recherche sur le renseignement (CF2R) : « elles sont très rapides et très meurtrières. »
« L’objectif, c’est la surprise et la terreur », estime-t-il. Même analyse pour Frédéric Pichon, docteur en histoire et spécialiste du Moyen-Orient : « ils sont très à l’aise dans cette stratégie de guérilla. C’est aussi la plus payante pour les terroristes : il s’agit d’impressionner, de faire peur. »
« C’est un mode opératoire et un terrain qu’ils maîtrisent car c’est de cette manière qu’ils ont construit leurs conquêtes territoriales en Irak et en Syrie, avant la proclamation de leur califat, jusqu’à la conquête de Raqqa et de Mossoul », abonde Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT).
2. Des poches de résistance
En Irak et en Syrie, les combattants de Daech restent présents. Des poches de résistances demeurent dans le sud de la Syrie ainsi que dans le province d’Idlib, dans le nord-ouest du pays, près de la frontière turque. En Irak, c’est dans le désert proche de la frontière avec la Syrie que les djihadistes opèrent encore.
« Ils ne sont militairement pas défaits même si effectivement, leur ressource territoriale a été fortement réduite. En perdant son califat auto-proclamé, Daech s’est coupé de ses ressources naturelles et financières. Mais le groupe terroriste dispose d’un important trésor de guerre », analyse Jean-Charles Brisard.
Difficile cependant d’estimer le nombre de combattants appartenant à l’organisation terroriste en Syrie et en Irak. Les chiffres avancés par les experts varient. L’arrivée de nouveaux djihadistes, venus d’Europe notamment, semble très compromise en revanche : les Européens contrôlent les départs et les Turcs ont fermé leur frontière avec la Syrie et l’Irak.
Dans le nord-est de l’Afghanistan, comme la semaine dernière à Jalalabad, Daech multiplie les attaques. Une stratégie de harcèlement que le groupe terroriste maîtrise. Photo NOORULLAH SHIRZADA/AFP
3. De nouveaux terrains de combat
Daech s’est exporté depuis sa base syro-irakienne. Et les terrains de djihad se sont multipliés. « Daech est revenu à un djihad mondialisé, dans la même veine qu’al-Qaïda, estime Frédéric Pichon. Des combattants ont été formés pendant des mois en Irak et en Syrie dans les camps du califat. Ils peuvent s’exporter sur d’autres terrains d’action. »
« Daech est passé d’un groupe terroriste à un réseau terroriste, mondialisé. L’organisation terroriste s’est relocalisée sur d’autres terrains, différents groupes ont déclaré leur allégeance au chef de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi », avance Jean-Charles Brisard.
Le groupe djihadiste a donc essaimé et s’est renforcé sur d’autres terrains opérationnels : au Sahel, en Libye, dans le Sinaï mais aussi en Asie centrale, comme au Tadjikistan récemment, en Extrême-Orient, notamment en Indonésie ou aux Philippines, et en Afghanistan.
« Il y a des combattants venus d’Europe qui ont rejoint Daech au Levant, des familles qui sont venues d’Asie centrale, des Ouïgours chinois, des Maghrébins, des Philippins. Ils sont formés et aguerris, ils peuvent faire le djihad ailleurs », dit Frédéric Pichon.
Ce sont des actions moins coordonnées, plus ponctuelles mais qui continuent à maintenir les populations dans la terreur et de la crainte.
Frédéric Pichon, docteur en histoire et spécialiste du Moyen-Orient
4. En Europe, pas d’affaiblissement de la menace
Si Daech semble affaibli au Levant, il n’y a pas lien avec la menace en Europe et en France notamment. C’est la nature des attentats qui a changé.
« Les militants de Daech sont déjà là, affirme Alain Rodier. Ils ne reviennent pas de Syrie ou d’Irak, ils ne sont pas passés par des camps d’entraînement de l’organisation djihadiste. Donc ils ont un peu moins d’usage militaire, mais ils ont la théorie. Et l’idéologie de Daech reste porteuse. Il y a une mutation dans les attaques : moins sophistiquées et menées par des personnes moins professionnelles. »
« Ce sont des actions moins coordonnées, plus ponctuelles mais qui continuent à maintenir les populations dans la terreur et de la crainte », analyse Frédéric Pichon.
Et il y a la question des Revenants et des sortants. « Il y a finalement eu assez peu de retours, affirme Jean-Charles Brisard. Les sortants, en revanche, condamnés pour terrorisme et qui vont être libérés de prison dans les mois ou les années à venir, vont poser un problème sur le long terme : ce sont des individus endoctrinés, qui peuvent jouer le rôle de meneurs. »
Larossi Abballa a tué deux policiers à Magnanville, en juin 2016. Le djihadiste n’était jamais passé par la zone irako-syrienne. Photo AFP/ SYLVAIN THOMAS
5. L’idéologie de Daech est vivace
L’organisation « État islamique » disparaîtra peut-être un jour mais le terrorisme sunnite est loin d’être éradiqué. « Daech n’est d’ailleurs pas la seule menace, il y a différents groupes qui se revendiquent du djihadisme », pointe Alain Rodier.
« Sans dire que tous les sunnites vont devenir des terroristes, on constate qu’il y a une certaine désespérance des certaines franges des sociétés sunnites, notamment en Irak et en Syrie. Il y a un sentiment de rejet vis-à-vis des autorités en place, et la crainte d’une main-mise, un peu fantasmée, de l’Iran sur la région, qui expliquent pourquoi certains rejoignent Daech ou différents groupes terroristes. Tant que cela ne sera pas réglé… », estime également Frédéric Pichon.
Enfin, il y a une continuité générationnelle : « Daech a beaucoup misé sur sa jeunesse », pointe Alain Cordier. Pour Frédéric Pichon, ils demeurent également des vétérans du djihad : « ils sont experts en armes et radicalisé. Même s’ils ne sont que 10, ils vont transmettre leur « enseignement ». C’est quelque chose d’anciens, qu’on voyait avec le djihad algérien à la fin des années 90, puis avec al-Qaïda, dans les années 2000 et maintenant avec Daech. »