Source : FigaroVox
FIGAROVOX/ENTRETIEN- Jean-Charles Brisard revient sur l’attentat de Londres. Pour lui, malgré l’affaiblissement de l’État islamique, rien ne permet de penser que la menace terroriste qui pèse sur l’Europe baissera en intensité.
FIGAROVOX.- Un an jour pour jour après les attentats de Belgique, Londres est victime d’une nouvelle attaque terroriste? Que cela vous inspire-t-il? Cette date a-t-elle, selon vous, été choisie au hasard?
Jean-Charles BRISARD.- Aucun élément ne permet de dire à ce stade s’il existe une symbolique de cette date. Les djihadistes ont leur propre agenda et n’attachent pas nécessairement d’importance aux dates qui sont symboliques pour les pays occidentaux. Ce type d’attaques, c’est d’abord une question d’opportunité.
En juillet 2005, un attentat à la bombe dans le métro londonien, avait déjà fait 56 morts. L’Angleterre et, en particulier Londres, sont-ils particulièrement visés par les terroristes islamistes? Cela a-t-il un lien avec la population qui vit dans la capitale?
L’absence d’attentat meurtrier depuis 2013 sur le sol britannique ne doit pas nous faire oublier que le Royaume-Uni est, à l’instar des États-Unis, l’une des principales cibles des menaces des groupes djihadistes. 13 attentats ont été déjoués par les autorités depuis 2013, et une attaque à l’arme blanche conduite par un sympathisant de l’État Islamique a fait 3 blessés en 2015. Au moment des attentats de Bruxelles en mars 2016, les terroristes envisageaient différentes cibles, dont la Grande-Bretagne, avant d’y renoncer. Outre des projets déjoués ou avortés, ce pays est très régulièrement visé par la propagande de ces groupes, dans leur littérature, ainsi que par de nombreux djihadistes appelant à frapper ce pays. Ces groupes, l’État Islamique en particulier, ont tenté à de très nombreuses reprises, et sans succès, d’organiser des attentats sur le sol britannique. D’après plusieurs témoignages, s’ils ne sont pas parvenus à mener une opération de grande ampleur, c’est notamment en raison d’une attrition des volontaires djihadistes pour participer à une opération sur leur territoire national, alors que les Britanniques constituent le second contingent de djihadistes européens après les Français, avec près de 600 combattants sur place. Une situation qui illustre sans doute une dimension plus internationaliste chez les djihadistes britanniques que chez les djihadistes français ou belges, plus enclins à frapper leur pays d’origine. Ce qui a dominé, en termes de projets, ce sont des actions téléguidées depuis la Syrie et l’Irak par des djihadistes anglo-saxons. Il existe en Grande-Bretagne de nombreux sympathisants et soutiens des groupes djihadistes comme l’a montré la préparation des attentats de Paris et Bruxelles, lorsque Mohamed Abrini, l’un des logisticiens de ces attentats, s’était rendu à Birmingham au mois de juillet de 2015 à la demande d’Abdelhamid Abaaoud pour récupérer de l’argent mis à disposition par des sympathisants.
Après la France, la Belgique et l’Allemagne, c’est désormais la Grande-Bretagne qui est visée. Les terroristes islamistes ont-ils déclaré la guerre à l’Europe entière?
Dans une étude qui sera rendue publique la semaine prochaine, nous montrons qu’entre 2013 et 2016, l’Europe a été le théâtre de 64 projets d’attentats, 24 attentats et 6 tentatives en lien avec le contexte syro-irakien, un bilan très supérieur à celui observé dans d’autres pays occidentaux comme les États-Unis, l’Australie ou le Canada. Ces actions visaient plusieurs pays européens, la France, la Belgique, l’Allemagne, le Royaume-Uni, mais également la Suède, le Danemark, l’Espagne, l’Italie et l’Autriche. Frapper l’Europe est devenu une priorité pour l’État Islamique essentiellement pour trois raisons: la participation de plusieurs pays européens à la coalition militaire internationale contre ce groupe, la présence d’un très grand nombre de djihadistes européens sur le théâtre des opérations syro-irakien, plus de 2.800 selon nos dernières estimations, et enfin la proximité de l’Europe avec le théâtre des opérations terroristes en Syrie et en Irak.
Dimanche à Orly, un assaillant a tenté de tuer un militaire avant d’être lui-même abattu. La violence djihadiste se banalise-t-elle? Va-t-on devoir vivre avec au quotidien durant les prochaines décennies?
Nous sommes aujourd’hui confrontés à 3 types de schémas opérationnels de la part des groupes djihadistes: une menace directe, organisée, à l’instar des attentats des Paris et Bruxelles ; une menace téléguidée qui est le fait de djihadistes présents sur le théâtre des opérations qui communiquent avec des sympathisants via les réseaux sociaux et les messageries chiffrées en leur prodiguant des recommandations de cibles et des conseils opérationnels (représentant la majorité des projets d’attentats en France en 2016 – 9 sur 17 -) ; enfin une menace inspirée par la propagande de ces groupes, celle qui demeure la plus insaisissable. Les assaillants menant ce type d’attaques utilisent généralement des moyens rudimentaires (arme blanche, véhicules…) dont l’issue est aléatoire mais qui peuvent s’avérer aussi meurtriers que des bombes ou des armes de guerre (Attentat de Nice le 14 juillet 2016). La menace est amenée à évoluer vers plus d’attaques inspirées, d’abord parce que les pertes territoriales et humaines subies par le groupe État Islamique affaiblissent et désorganisent sa capacité à planifier des attentats en Europe et à projeter des combattants pour y commettre des attentats. Ensuite, les services de renseignement occidentaux ont progressivement acquis une connaissance plus précise des réseaux constituant la menace actuelle, et peuvent donc être plus proactifs qu’ils ne l’étaient il y a encore 2 ans. Cependant, compte tenu du nombre de djihadistes européens aujourd’hui impliqués en Syrie et en Irak, il convient également de tenir compte du fait que les conséquences de leur engagement seront durables, comme nous l’avons déjà observé dans l’histoire du djihad moderne, non seulement en termes de menaces directes, mais également en termes de radicalisation. Ces combattants sont susceptibles, à leur retour, de mener des actions de propagande, de prosélytisme et de recrutement. Au-delà des seuls combattants, l’emprise et l’enracinement à long terme, par capillarité, du phénomène salafiste djihadiste et de ses soutiens, sont une cause de préoccupation majeure, amplifiée par une propagande qui demeure massive et aisément accessible.
Pourtant l’État islamique semble affaibli. Cela explique-t-il la multiplication des attaques? S’agit-il d’un baroud d’honneur?
Dans le contexte actuel d’affaiblissement général de l’État Islamique sur le plan militaire, ces attaques sont devenues vitales pour le groupe, afin de ne pas enrayer la dynamique créée il y plus de 3 ans avec la proclamation d’un Califat. Pour autant, les attaques de l’État Islamique contre les pays occidentaux s’inscrivent dans un continuum, elles ont commencé bien avant l’offensive actuelle à Mossoul. Il convient d’analyser ce mode opératoire sur le long terme plutôt que comme un phénomène conjoncturel. Je l’ai souvent rappelé, la menace globale de l’État Islamique est inhérente, consubstantielle à son existence en tant que groupe djihadiste, et ce dès sa création. À cet égard, le premier appel d’un djihadiste français à perpétrer des attentats en France précède l’annonce du Califat en Juin 2014, et même la création de l’État Islamique en Irak et au Levant en Avril 2013, et date du 22 janvier 2013. C’est donc une menace ancienne qui est amenée à durer longtemps.
La destruction de Daech suffira-t-elle à enrayer le phénomène djihadiste et islamiste?
L’État Islamique sera défait militairement dans sa forme actuelle, c’est une évidence. Il perd progressivement ses principaux bastions en Irak et en Syrie. Le groupe enchaîne les défaites et ne peut plus compter sur sa force d’attraction qui constituait son principal moteur. Pour autant, détruire ce groupe dans sa forme actuelle ne mettra pas fin à la menace terroriste qu’il véhicule. Ce groupe va se transformer, retournant sans doute à la clandestinité, mais en tout état de cause il sera toujours présent dans la région et poursuivra ses efforts de propagande et d’incitation. Quant au phénomène djihadiste, il ne sera pas enrayé par ces victoires militaires. Il a montré une forte capacité de résilience depuis 30 ans qui le conduira à évoluer.
Interview réalisée par Alexandre Devecchio
Lire l’article sur le site du Figaro
This post is also available in: French